Cabanes Jean-Pierre
Retour à Palerme
Deux mondes farouches et opaques se côtoient dans une histoire d’amour shakespearienne. Roméo illustrerait l’univers littéraire français de l’édition, son milieu foisonnant d’entourloupes, de pots de vin et autres malversations, et Juliette, celui de la mafia italienne. L’auteur nous emmène à Palerme, avec ses femmes en noir sur le pas de la porte, chapelet en main et homme omnipotent, en costume et cravate…. C’est l’Italie du sud et ses empreintes mystiques où les femmes gardent la place légendaire de la Mama, plus précisément la Sicile et sa respiration rythmée par le Parrain (F.F.Coppola)… où la version écrite semble plus réelle encore que celle du film. La verve et la vivacité d’écriture portent l’imagination dans des situations plus vraies que nature ; il y fait aussi chaud que dans Le soleil des Scorta (Laurent Gaudé), mais Le « ballon » de la botte est aussi le cœur de la mafia. C’est une lecture vertigineuse, assez dévorante, terriblement accaparante et sacrément bien cadencée!
Camus Albert
Le premier homme (1960 – publié en 2000)
Catherine Camus invite le lecteur a prendre ce récit comme une biographie que l’auteur n’aurait pu terminer. L’Algérie évidemment, est un pays dont le climat est difficilement soutenable mais, dont la chaleur du berceau reste à jamais magnifiquement enviable. La détermination de l’homme décrite par A. Camus au passage à l’âge adulte est tellement profondément exaltante qu’elle illustre avec justesse la foi indéfectible que l’auteur met en l’homme. Cette enfance d’abord, puis cette adolescence, sont décrites ici avec une incommensurable fierté et l’orgueil nécessaire pour justifier le bien fondé de la pauvreté et sa noblesse dans ce qu’elle enrichit en l’homme la justice et l’équité. La conclusion du livre est un aboutissement magnifique au cheminement de l’auteur, de l’enfance assez misérable jusqu’aux premiers jours de l’adulte qu’il devient grâce au père qu’il n’a pas connu mais qui l’a forgé.
Les Justes
Très courte pièce de théâtre : se lit en 1 heure environ ! La force de Camus réside dans l’extrême profondeur de texte, si court soit-il. On peut être terroriste sans assassiner, puisqu’au nom des convictions l’action, quelle qu’elle soit, devient sublimation… et donc… juste. C’est évidemment un propos qui prête à polémique puisqu’attenter à la vie demeure criminel !
Candiago Cécile
D’où je viens (2023)
Voilà un texte intéressant à l’heure où les recherches en ADN deviennent monnaie courante. Le résultat détruit parfois des liens familiaux et l’engouement heureusement, semble redescendre comme un soufflet. Une jeune fille, presque totalement délaissée par sa mère, est confrontée à l’origine de son géniteur. C’est ici, une réelle analyse du traumatisme qui habite l’enfant né d’instants d’oubli ou d’inconscience que peut vivre un parent.
Carichon Christophe
Une vie offerte, Agnès de Nanteuil
Ce livre est un recueil de notes, à partir de lettres et de carnets intimes, illustrant la vie d’une famille de souche, au moment de la guerre de 39-45. Nous suivons le parcours d’Agnès, jeune aristocrate douée d’un patriotisme sans limite et d’une spiritualité intense... qui la mènent, en temps de guerre, à conduire sa vie sous la protection divine dans la prière et dans la Résistance. Ces évènements marqueront très tôt, la fin de ses jours. L’écrivain a produit une chronique suffisamment précise pour que le lecteur d’aujourd’hui respire un moment les vapeurs nauséabondes de cet évènement tragique, mais s’enivre surtout de l’énergie qu’apporte le patriotisme et du courage que transmet la Foi. Voilà un beau chapitre de notre histoire à découvrir et à connaître, afin de s’en souvenir et de s’en servir peut-être, comme une référence de valeur.
Carlier Stéphane
La vie n’est pas un roman de Susan Cooper (2024)
Cette fiction n’a rien de cérébral. Elle entraîne le lecteur dans un ouvrage, amusant et souvent surprenant ! Je conseille ce livre vif et rapide, après avoir abordé une lecture difficile et ardue qui aurait pu laisser un goût amer… Ici, la détente est assurée, on oscille de surprises en rebondissements, avec le même plaisir, sans aucun sérieux et le plus souvent en souriant. L’intérêt pour l’histoire est quand même soutenu tout au long du livre et maintenu jusqu’à la fin ! Il est parfaitement inutile d’aborder cet ouvrage avec sérieux et dans l’espoir d'en garder une trace : il n’est qu’amusement !
Carré Isabelle
Les rêveurs (2019)
L’auteur retrace sa vie et son enfance. Elle a transformé en rêverie les parties sombres de son passé, à moins que l’auteur ne transmette son vécu qu’avec pudeur. L’écriture est poétique mais à mon sens, trop souvent décousue. L’intime qu’elle exprime prend surement corps dans son esprit : elle a probablement mis dans ses écrits le poids de l’amour et de l’irréel, jusqu’à le faire tourbillonner comme le tour de manège qu’un enfant imprime dans tout son être. Gardons à chacun le plaisir d’une découverte, mais pour ma part, je n’ai jamais été émue et pas un instant je n’ai pris ce plaisir intense que m’offre la lecture.
Carrère Emmanuel
Le royaume
Je ne conseillerais pas ce bouquin à tout le monde ; il me semble parfaitement indigeste, autant pour un croyant convaincu que pour un athée. Pour l’athée, la difficulté vient directement du sujet trop exclusif de l’analyse du Nouveau Testament, qui devient voisine d’une dissection… La lecture peut en devenir un peu fastidieuse. Pour le croyant, la difficulté encourue est celle qui tourne en dérision les moindres faits et gestes de Jésus, ses apôtres ou son entourage, et la critique assez prétentieuse qui en est donnée. Emmanuel Carrère reste un bon écrivain qui mobilise pour ses écrits une culture de l’histoire ancienne mêlée de théologie, remarquable à bien des titres et souvent largement documentée pour le plaisir du lecteur. On aimerait participer à sa démarche d’analyse, mais l’exercice reste infiniment laborieux à qui ne connaît pas parfaitement les écrits bibliques. Il n’en demeure pas moins que l’auteur dérange le croyant qu’il pousse à une analyse approfondie (ressentie parfois comme perverse) et le sceptique à qui il tente de prouver la véracité ou plus souvent le leurre des éléments en présence… Où se situer ? Il m’est apparu qu’E. Carrère n’est pas absolument convaincu de l’irréversibilité de ses dires…
Carrière Jean-Claude . Forman Milos
Les fantômes de Goya
J’ai beaucoup aimé ce livre parce qu’il traite tout à la fois du système établi de l’Inquisition au XVIII°s. avec ses ravages et son fanatisme, et du peintre Goya, son regard sur les choses, les gens et l’institution. Nous y traversons la guerre d’Espagne avec la France en plein Directoire contre les Anglais puis contre la France et finalement contre l’Espagne elle-même en guerre civile. L’écriture est menée agréablement au travers de l’Histoire par le truchement d’un roman historique de l’époque. L’Espagne est visitée avec l’indulgence de l’amour : elle promène le touriste-lecteur d’anecdotes en faits divers et de guerres européennes en révolutions internationales. Nous avons la chance d’y côtoyer un peintre d’excellence, de suivre son parcours et de comprendre les méandres de son œuvre.
Carter Diana
La rampe
Je suis évidemment extrêmement touchée, mais définitivement convaincue qu’un mur de béton est plus coriace qu’une volonté, aussi inébranlable soit-elle … : elle reste humaine. Ceci dit, l’étincelle est bien dans la connaissance et l’analyse du départ de la maladie et par ce biais, du ralentissement de son évolution.
Si je sais pourquoi mon cerveau a voulu exprimer quelque chose de vivant, je saurai peut-être lui dire que je n’ai pas besoin de ses manifestations … donc il reste un grand espoir, c’est vrai.
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La mère morte (2020)
Voilà un cri d’amour assez pénible à lire, à cause des sujets abordés. L’auteur parle ici de l’extrême déchéance de sa maman atteinte d’Alzheimer et simultanément de l’accident de la route qui cause le décès de sa fille… La fin de vie, l’euthanasie, l’égoïsme protecteur, sont effectivement des sujets profonds qu’il est important de ne pas négliger, mais les détails morbides qui jonchent chaque page de ce livre, en font à mon sens un texte à ne pas mettre entre toutes les mains…
Cauwelaert Didier (van)
L’évangile de Jimmy
Le FBI et la CIA décident d’officialiser dans le monde la naissance d’un Christ cloné… Après avoir pensé que le but poursuivi résidait dans le renouveau d’une Eglise en perte de vocations, on penche pour l’élection d’un président en campagne. Au final il s’avère que tout était en place pour favoriser un mariage gay auprès du Vatican ! Une face dérisoire de ceux qui nous gouvernent est en miroir de l’insondable spiritualité des hommes. Le clone finit par se convaincre de sa propre réalité, et finement guidé par la mafia politique, il tente de racheter le genre humain… L’histoire est cocasse, complètement invraisemblable mais vraiment originale ! La confusion des personnages est trop souvent inévitable et rend parfois le texte difficile à lire, mais le rythme reste enlevé et les surprises incessantes. Ce qui tend vers l’absurde retrouve un sens commun et l’auteur doit être plus humoriste que philosophe. Heureusement pour la lecture !
Le père adopté
Ce livre se lit comme une comédie agréable à suivre. Pourtant il m’a parfois semblé impudique parce que c’est une thérapie que s’offre l’auteur au moyen de l’écriture. Et elle passe obligatoirement par l’assentiment du lecteur qui, lui, est totalement étranger à la relation père-fils décrite ici. En quelques sortes, j’ai le sentiment d’avoir été forcée à participer à un épisode intime de la vie de l’auteur et j’en suis … dérangée. A mon sens, on parle à son père dans le secret de son cœur où des proches… Mais…( !) je suis peut-être trompée par une fierté idiote, puisque l’auteur nous amène à partager avec lui cette admiration, en dépassant la mort par le biais d’une conversation gaie, joyeuse, complice et réconfortante. La dernière partie évoque effectivement un confort cérébral retrouvé !
Un aller simple
Avec beaucoup de subtilité, ce court récit permet l’inversion des vies d’un jeune beur et d’un attaché ministériel. Le corps du livre est totalement réaliste et baigné d’humour, le tableau final en est pleinement humanitaire avec don, partage et amour. Ce petit ouvrage est surprenant, souvent drôle et finalement un peu à l’exemple des contes philosophiques d’autrefois, avec 2 siècles d’écart. On serait presque tenté d’établir une comparaison entre ce roman et une œuvre d’art contemporain, où le spectateur rassemble des éléments suffisamment explicites pour en faire la lecture, mais assez obscures pour la rendre totalement inaccessible à une interprétation consensuelle.
La femme de nos vies
Le titre n’est pas évocateur du contenu de ce roman. Il est bien écrit, le thème en est très bien rendu grâce à une écriture intimiste qui lui imprime son relief. Pas de niaiserie, pas de roman fleuve : juste une vie époustouflante au service d’un idéal à l’époque de la folie des nazis, une reconnaissance aux allures de grand amour, un trait conducteur rempli de l’univers des génies de la physique : au final, une lecture passionnante qui fait la part belle à l’intelligence pure. L’auteur livre son sujet sur le ton d’une confidence dont l’intérêt grandit au cours des pages sans cesser d’approfondir les ressources humaines.
Le principe de Pauline
Deux hommes aiment la même femme et ne sont pas rivaux mais si amis qu’ils s’entendent à faire le bonheur de leur amour. Nous sommes dans un pur roman de fantaisie, avec le charme immense d’une écriture vive, de l’humour incessant d’un auteur en verve et d’un sujet suffisamment original pour transporter le lecteur avec grand plaisir dans une fiction… Le livre se lit très facilement, très rapidement, avec une passion amusée, pas fatigante et dévorante. J’aime particulièrement un regard d’acteur sur le manuscrit d’un écrivain. En un mot, c’est un bon Cauwelaert !
Karine après la vie
La mort est un prolongement de la vie, voire une nouvelle naissance dans un espace que nous ne connaissons pas encore. Jusque là, je suis en parfait accord avec l’auteur et je suis enchantée de constater dans cet ouvrage la confirmation de mes propres certitudes. Pour ceux qui nous quittent et à leur intention, nous devrions savoir nous réjouir de leur départ. Mais nous ne sommes pas suffisamment préparés au vide qu’ils laissent et la douleur fait son nid dans le gouffre béant. En revanche, l’ouvrage est très surprenant de la part de cet auteur, parce qu’il va trop loin, à mon avis, dans les antres de cet univers : je ne l’y suis pas.
La maison des lumières
Un amoureux à la recherche de sa dulcine au cœur d’une toile de Magritte : cette situation ne m’a pas émue ! L’ouvrage transporte avec humour le lecteur dans les méandres obscurs de la psychanalyse ; mais à force d’être original et surprenant, il m’a finalement débarquée dans le labyrinthe de l’ennui… Je garde pourtant toute ma confiance à l’auteur qui m’enchante souvent !
Jules (2015)
Ravissante petite histoire à lire sur la plage ou en 48h, pour se reposer d’un pavé philosophique ! L’auteur nous a souvent habitué à plus solide, mais l’incursion qu’il oblige à faire auprès des chiens d’aveugles est un régal à tout point de vue : l’admiration qu’en tire le lecteur vaut autant pour le dresseur, le chien, ou les aveugles et le monde d’indulgence qu’ils traversent. La douce romance pourrait faire un film pour cynophiles qui ravirait les cinéphiles !
On dirait nous (2016)
Un couple de personnes âgées, désireux de trouver à renaître dans une âme de nourrisson, choisit de se greffer sur un jeune couple qu’il juge sympathique et conforme aux deux personnalités. La réincarnation est abordée sous un angle humoristique mais aussi de nombreux aspects intimistes des contacts humains, de l’amitié ou de l’individualité. Cet ouvrage détend parfaitement le lecteur parce qu’il ouvre des domaines de réflexion auxquels l’écrivain donne une réponse immédiate… Nous sommes finalement dans un excellent moment de lecture, sans autre exercice intellectuel que celui de regarder sur internet l’origine du peuple Tlingit et des coutumes de l’Alaska.
La bienveillance est une arme absolue (2020)
Pendant une bonne moitié de l’ouvrage, D. van C. se dévoile par le biais d’anecdotes amusantes qui ne démentent pas le titre du livre, l’alimentent et le rendent fort sympathique ! Il n’y a pas là de roman à thème, comme nous pouvions l’attendre de cet écrivain. L’auteur nous fait par la suite, un cours magistral bien documenté, mais dont les liens avec la bienveillance semblent assez tirés par les cheveux, parfois même exagérés… L’auteur est rayonnant, tout rempli du charme de son sourire et son livre est attachant à l’image de ce charme… Mais finalement sans beaucoup d’épaisseur ! D’aucuns vont penser que j’ai tort d’écrire ça et je conçois franchement pouvoir être dans l’erreur… mais je ne change pas d’avis pour autant ! J’ai simplement regretté ses bons romans avec la réflexion qu’il y glisse dans le but d’amener le lecteur à consentir un échange, à lui faire part de sa position, au moins à proposer une « rencontre » où l’imagination tient une place prépondérante et attendue.
L’éducation d’une fée
Nous sommes ici sur un conte d’enfant pour parents déboussolés… Une histoire d’amour entre adultes reste quand même le fil conducteur du texte qui évolue néanmoins en une ravissante poésie, remplie de naïveté, de rêves et de bobards qui tissent la corde principale du récit. Un père persuade son fils que les fées président à toute vie sur la planète et, à l’instar de l’enfant, le lecteur est happé par un tourbillon magique, digne de tous les plus beaux textes de Ch. Perrault.
Une vraie mère… ou presque (2022)
La mère de Pierre meurt de façon soudaine mais l’administration lui demande de mettre à jour ses capacités à conduire… Grâce à un échange d’identité, une dame âgée va prendre sa place devant les examinateurs, mais bien évidemment aussi devant Pierre, son propre fils ! Voilà une occasion de faire en littérature, la différence entre l’œuvre et l’ouvrage ! Je suis assez déçue par cet ouvrage… Habituée à plus de recherche et d’inventivité de la part de cet auteur, je m’attendais à un humour fracassant et une écriture si fouillée qu’elle laisserait probablement la trace d’un vrai Cauwelaert… Il s’agit ici d’une fiction amusante mais qui porte en elle une certaine banalité, malgré le sujet prometteur ! Il devrait s’agir d’un scénario pour soirée télévisée … plutôt que d’un livre. Peut-être suis-je trop exigeante, mais je crois à une certaine noblesse d’art en ce qui concerne les livres.
Céline Louis-Ferdinand
Voyage au bout de la nuit
Le voyage de la vie a lieu dans la nuit qu’offre une humanité misérable et aboutit évidemment à une mort sans espoir. La vie est ce voyage sur lequel L.F.Céline porte un éclairage si noir, qu’il figure la nuit. Mais le titre s’attache à évoquer la vie comme un passage au sein d’un univers de dérisions, de contingences, de déceptions, de désillusions. Si l’on vivait avec intégrité et honnêteté, il serait louable de se comporter sur terre, comme un maquereau face à sa putain : sans respect. L’homme reste un prédateur pour ses semblables ; l’intérêt de se débrouiller à passer au travers des mailles piégeuses du filet représente une capacité d’intelligence supérieure à vivre et à mourir dans un monde de souffrances. La dignité de l’homme serait d’être suffisamment roublard pour évincer les lois sociales, se tracer un chemin dans cet enfer humain, ne puiser de confiance qu’en lui-même et ne parvenir à la délivrance de la mort qu’après une unique quête de survie. Cet ouvrage n’a pris aucune ride en un siècle : il paraîtrait aujourd’hui avec le même succès. Il impressionne par la réflexion qu’il impose et la méditation qu’il engendre, mais un tel pessimisme vaut, à mon avis, qu’on n’en garde qu’un souvenir littéraire.
Cercas Javier
A la vitesse de la lumière
La lecture nous plonge d’habitude dans une histoire où l’on peut se reconnaître, s’identifier, se superposer au moins s’impliquer. C’est en quelque sorte l’évasion par l’aventure … Ici, rien d’irréel : tout est la vraie vie dans ses contraintes qui blessent, ses exigences qui font mal et ses cauchemars qui étouffent : le livre retrace des événements générés par de jeunes soldats américains durant la guerre au Vietnam. On connaît l’existence de ces faits, pour en avoir entendu les rapports effarants. Le contenu de l’ouvrage en est d’autant plus difficile que des gens ont vécu cette période sans pouvoir en associer le souvenir à leur vie d’adultes. Ils se sont réfugiés dans la mort ou la folie parce que le cerveau humain n’est pas programmé pour de tels faits. Une génération de jeunes s’est vue imposer la réalité de respirer dans la peau d’un criminel. C’est fulgurant d’effleurer cet état d’esprit.
Chalandon Sorj
Le quatrième mur
Voilà un ouvrage émouvant, souvent même bouleversant. Le titre fait référence à la limite factice que les comédiens mettent sur scène entre le public et eux. Ils peuvent évoluer ainsi dans l’anonymat mais en complète harmonie avec leur texte et le rôle. L’histoire évoquée est celle de fous de théâtre qui imaginent monter l’Antigone d’Anouilh au Liban, au milieu des bombardements, avec des comédiens chiites, catholiques, musulmans, juifs ou sunnites… La foi de ces hommes va les mener aux confins de la violence pour des raisons de conviction profonde, d’idéalisme invétéré, d’aveuglement amoureux. Ce monde est un univers d’espoir et de paix qui transcende la vulgarité du tangible. La volonté de vivre son rêve est à ce point magnifique qu’il porte l’âme à un palier d’exception. Cette lecture rend compte de la noblesse de l’homme… elle est, en cela, absolument nécessaire.
Le jour d’avant(2017)
Nous sommes, au cours des années 70, dans le monde de la mine. Il s’agit d’une histoire basée sur la dure réalité de souffrances vécues, dissimulées mais subies et rapportées sous la plume d’un conteur. Malgré le drame qu’il dépeint, on retrouve dans ce récit le journaliste qui a investi son sujet, fouillé les alentours sans laisser aux strictes informations beaucoup de place à l’imagination. Au cinéma, il y a eu Costa Gavras, pour dénoncer les dérives perpétrées ça et là par quelques sociétés contre d’autres. Le lecteur retrouve ici des évènements assez semblables dans la virulence du débat et l’acuité de la douleur. Ces faits restent totalement ravageurs pour l’âme humaine mais sont ici contés, plutôt que relatés… Et pourtant, la vraisemblance de la situation n’offre pas d’ombre, l’émotion est à fleur de peau. Sorj Chalandon me semble être un romancier doué de la grâce du fabuliste.
Enfant de salaud (2021)
Le sujet du roman, est celui d’un enfant qui découvre que son père était nazi pendant la guerre. C’est un sujet éminemment délicat puisqu’il s’agit d’un terrible choc père-fils… Il est certain que cette situation n’est pas isolée. L’auteur nous projette ici dans l’intimité de son enfance, de sa vie et de ses relations avec un père affabulateur, mythomane et menteur. Dans son enfance, le jeune homme avait confiance en la figure paternelle et vivait au rythme des rêves que son père vivait, pensait vivre, ou faisait semblant de vivre. A la suite d’une réflexion en famille, nous assistons à l’immense déception de ce jeune adulte et à l’impossibilité d’effacer dans sa relation au père, ce à quoi il s’est abreuvé pendant les jours « heureux ». Le lecteur assiste au procès de Klaus Barbie, à la collaboration, aux dénonciations, aux jeunesses hitlériennes... mais c’est son propre père que l’auteur raconte… La douleur y est palpable.
L’enragé (2024)
Des orphelins, sont éduqués par des tortionnaires dans une maison disciplinaire et en vase clos. La première centaine de pages est difficile, éprouvante, repoussante : j’ai eu beaucoup de mal à vaincre ce milieu carcéral, qui dépasse le malaise, qui engendre une telle souffrance physique et mentale que la lecture en devient parfois insoutenable. Ce jeune, dont l’éducation brutale, sans aucune intelligence et basée sur la cruauté est devenu un « enragé » par une auto-défense constante, une méfiance omniprésente et un taux de résilience insondable. Il est le seul adolescent à s’être enfui de cette prison sans être inquiété et rencontre finalement une famille accueillante, un environnement plus stable, respectueux et doué de sens commun : il a croisé l’humanité… Mais bousillé comme il l’a été, jamais il ne pourra se fondre dans le moule des sentiments simples et son combat restera entier, à jamais. Ce livre édifiant, marquant et douloureux entraîne le lecteur dans un monde inhumain qui fait pourtant parti de notre humanité.
Chamberlain Diane
Des mensonges nécessaires (2016)
Deux jeunes filles issues d’un milieu misérable, sont vouées à la stérilisation par le système social. Nous ne sommes plus dans les horreurs de purification ethnique, mais bien dans le parcours légitime d’aide aux déshérités. Non seulement cet ouvrage ne laisse pas indifférent, mais il suscite une intense réflexion qui se déroule en plusieurs phases au cours de la lecture. En premier lieu, le lecteur peut prendre fait et cause pour la nécessité d’une opération, simplement parce qu’elle fait appel à la raison, en toute objectivité et sans aucun autre état d’âme que celui de rendre service aux nécessiteux. En progressant dans la lecture pourtant, le lecteur s’interroge, doute et balance, jusqu’à être en contradiction parfois avec son sentiment premier… Jusqu’où faut-il aller, que peut-on se permettre et avons-nous le droit de porter un jugement sur le désir de maternité ? De quel droit avons-nous le pouvoir où l’abus de pouvoir pour trancher, entre le malheur que nous prévoyons et le bonheur qui ne nous appartient pas ? Les chiffres de la raison évoquent l’âge et la misère, l’émotivité du cœur ne reconnaît que l’amour. Bien chanceux qui peut affronter ce lourd combat…
Chandernagor Françoise
La Sans Pareille
C’est l’histoire de l’ambition d’une tricheuse, décrite comme une femme très naturellement spontanée et séduisante à souhait… Christine Valbray socialiste en 68, membre du gouvernement Giscard en 74, toujours inscrite au PS… La lecture est rendue séduisante par l’évocation d’une vie variée, riche, simple et amusante vécue et racontée de façon très personnelle. L’ouvrage se lit très facilement : on arrive à la fin grâce à la jolie plume, alerte et vivante, de l’auteur. Il n’empêche que le parallèle de l’auteur avec cette femme, constamment rapporté au présent vécu par l’héroïne, me paraît superflu, souvent inintéressant et proche d’une volonté manifeste de se mettre en relief. Françoise Chandernagor pouvait s’en dispenser : c’est au sujet du livre qu’on s’attaque, pas à son auteur. Surtout s’il s’agit d’une biographie.
Vie de Jude frère de Jésus (2015)
D’après ce roman, le lecteur suit les compagnons de Jésus, sa famille et ses apôtres prosélytes dans un monde ancien peuplé de polythéistes et sur les terres de Judée. Les témoignages rassemblés et l’importante documentation ne mettent pas le doute sur l’authenticité des faits relatés, mais sur l’interprétation qu’en font les témoins immédiats et l’emprise collective qui s’en suivit. Cet ouvrage a souvent été contraire à ce que j’attendais en termes de spiritualité. J’ai souvent pensé en le lisant, à la secte du soleil ou tout autre regroupement d’individus appauvris à l’extrême, sous alimentés par des chaleurs infernales, et par conséquent plus hallucinés que témoins dignes de foi…
Charbonnier Jean-Jacques
Cette chose
La finalité de cet ouvrage tient à éclairer le lecteur sur les pouvoirs de correspondance que les morts peuvent avoir avec leurs proches restés sur terre. J’ai quelques certitudes sur le sujet. Elles me semblent ici, exposées et abordées justement, d’autres en revanche ne me convainquent pas. Si la mort est bien la naissance à une nouvelle vie, comme celle que nous avons connue après notre « mort à l’utérus », à laquelle nous donnons le nom de naissance, la correspondance entre ces deux mondes, à mon sens, ne nous est pas permise, pas plus qu’elle ne l’a été entre la conscience prénatale et la conscience post-natale. La science éclaire ce domaine, la conscience individuelle non. Le mystère est peut-être insondable, il serait scabreux je crois de le percer.
Chateaubriant Alphonse (de)
La Brière
Un mari despote et violent s’illustre aussi comme père, dans la même veine de méchanceté. Après avoir lu un premier ouvrage de l’auteur (Monsieur de Lourdines cf n°7) je n’ai eu de cesse d’en lire un second… Si celui là est écrit dans le même style excessivement plaisant du français pur et classique comme il ne s’en fait plus, je l’ai trouvé long, lent et ennuyeux ! L’idée pourtant que je peux en tirer, est celle qui démontre une fois encore, que la méchanceté mène à la destruction et qu’il faut malheureusement passer par la souffrance pour retrouver la raison !
Monsieur de Lourdines
Voilà une leçon de vie distillée dans un français d’une rare pureté. L’humanité recèle un grand cœur : laissons lui la chance de le faire valoir ! L’émotion est grande, la noblesse de l’âme l’est tout autant. A force d’amour, la preuve en est faite.
Chauveau Sophie
L’obsession Vinci
La trilogie des peintres a ce mérite de retracer une époque, une vie construite sur une même trame publique, mais à chaque fois différente. Le XV° siècle en Italie, les dignitaires et leur cour…. Les habitudes et les lois, l’esprit et les goûts, le peuple et ses dirigeants…. L’auteur s’attarde moins sur le talent de chacun que sur le quotidien de sa vie : c’est une facette souvent obscure et choquante qui donne à l’artiste l’éclairage nécessaire pour être révélé comme un homme avant d’être un peintre. Il émane du « Vinci » une telle diversité, due à la personnalité même de l’homme, qu’on l’oublierait presque dans ce fouillis de passions. Passions des couleurs, des sciences, des stratégies guerrières ou des macchabées, mais aussi la passion des sens et de la débauche. L’auteur était sûrement tenu d’insister sur ces outrances extrêmes pour le faire accepter, comprendre et connaître. C’est heureusement une trilogie : je ne serais pas allée à 4, en séquence immédiate !!!!
La passion Lippi
Le titre choisi convient parfaitement à cet ouvrage. Si le lecteur avait quelques lacunes sur la passion, il les trouve ici comblées sur tous les registres. C’est intéressant par le sujet abordé, mais tout autant par les aspects historiques de la vie des peintres à Florence au XV ième siècle, du fief des Médicis et de l’art vu par Fra Angélico, Fra Lippi, Botticelli et leur école. Les couleurs données par l’écrivain aux passions qu’elle romance, accrochent l’imaginaire avec fougue : le rythme de la passion est passé dans l’écriture qui, tour à tour, prend, pique, déprend, choque ou enveloppe.
Le rêve Botticelli
Après avoir éclairé la vie du peintre Lippi, l’auteur nous invite à suivre celle de son élève. Dans la même veine que l’ouvrage précédent, avec une fougue semblable, elle décrit des situations romanesques, parfois très crues, mais aussi les passions considérables de ce peintre, amoureuses et artistiques, au cœur de la Toscane du XV° siècle. Suffisamment documentée pour donner aux peintures de ce siècle l’emphase qui leur est due, assortir aux fêtes italiennes les vibrations musicales qui les accompagnent, nous impliquer dans la vie Florentine de l’époque et finalement nous entraîner dans le vertige de Botticelli, l’auteur poursuit sa trilogie avec cette formidable passion qu’à mon sens, elle traite admirablement.
Fragonard, l’invention du bonheur
Comme à chaque biographie, il faut s’attendre à ce que l’auteur aborde le sujet en romancière plutôt qu’en historienne. En conséquence, elle s’offre probablement quelques digressions, incertitudes ou dérives par rapport à la stricte vérité… Son ouvrage reste néanmoins fidèle à la situation décrite et ne cesse en l’occurrence, de faire découvrir au lecteur le monde qui a bercé le peintre, son époque, son comportement et sa personnalité. L’écriture n’en recèle qu’une séduction supplémentaire puisqu’elle n’a pas la rigidité du documentaire. L’homme côtoyé dans ces pages nous devient facilement accessible et ne subsiste pour finir, qu’une immense envie de contempler ses tableaux pour y retrouver sa chaleur, son enthousiasme, la légèreté de sa peinture et la profondeur de son talent.
Noces de charbon
Puisque l’étendue de la recherche couvre le début du siècle jusqu’à Mai 68… l’arbre généalogique de l’auteur, pourvu de ses nombreuses ramures, risque d’entraîner des confusions chez le lecteur. Mais, il s’agit quand même de Sophie Chauveau, de son vif intérêt à décrire les sujets qu’elle aborde et de s’y attarder volontiers avec cette écriture suffisamment imagée pour en faire un plaisir de lecture. Les familles visitées, qui sont sa propre ascendance, nous permettent d’approcher le monde de la mine, ses ouvriers et leur famille, les nombreux risques encourus et autres maladies invalidantes, mais aussi les célèbres Charbonnages de France, avec le luxe et la fortune qui s’y associent. Les nationalisations et la révolution estudiantine font le reste du décor, sans omettre en fond de toile, une étude comportementale omniprésente dans l’ouvrage, analysée avec tact, finesse et rigueur.
Chevalier Tracy
La jeune fille à la perle
Outre des techniques de peinture ancienne et quelques notions historiques sur la société au XVII° siècle, ce livre ne recèle pas d’infinie richesse… Il n’y a pas de longueur dans le texte qui reste agréable à lire, mais pour une fois, je suis certaine qu’il vaut beaucoup mieux voir le film que lire l’ouvrage. Ceci parce que la lumière est ici un impératif, les couleurs et clairs-obscurs le sont également… Chaque passage du livre doit être rendu par les couleurs du peintre et même si l’imagination fait son travail de création, cet élément visuel tronqué reste assez frustrant. Les émotions sont suggérées, affleurées : c’est une poésie de l’écriture qui doit être assez savoureuse à voir
La fileuse de verre (2024)
Pour ne considérer que l’histoire de Venise au travers des siècles, l’auteur déroule les différentes époques, sans perdre de vue la famille qui en témoigne. Il s’agit de verriers de Murano, du commerce dont ils vivent, de la peste qui décime la population et de la vie quotidienne de Venise, du XV° siècle jusqu’à nos jours. S’étant probablement appuyée sur une documentation sérieuse, l’auteur « pousse » presque le promeneur dans la lagune ! Tracy Chevalier apprivoise progressivement le lecteur qui vit d’abord au rythme des insulaires de Murano, puis des barques, des gondoles et des vaporettos. Il me semble que cette femme a l’art de présenter l’Histoire de façon romanesque ; il en résulte des livres fort agréables.
Claudel Philippe
Il y a longtemps que je t’aime
De ce livre, a été tiré un film joué par Christine Scott Thomas notamment. Je l’imagine terriblement dans le rôle de cette femme blessée, meurtrie plutôt qui ne voit plus l’intérêt de communiquer puisqu’elle a perdu sa raison de vivre. Comme à chaque fois, cet auteur traite de l’absence ou du manque viscéral de l’être cher avec des mots bien ajustés, une atmosphère pesante et vraie. De toute évidence, il a vécu une situation désespérée : il crée dans ses textes de tels abîmes de souffrance, de ces instants où la respiration même semble être stoppée par un chagrin trop dosé qu’il impose au lecteur de vivre sa peine. Très éprouvant, ravissant de sensibilité : ce livre est beau par le fait, aussi, que l’explication de la douleur n’a lieu qu’à la fin...
L’enquête
J’ai beaucoup aimé cet ouvrage. Il me semble être un conte dédié à la réflexion existentialiste. Rien de difficile à lire pourtant. On aborde le monde comme une succession d’inepties, toutes, normales, conventionnelles et admises qui rendent le cadre parfois angoissant, toujours absurde. Ici, le temps passe et s’écoule comme à l’accoutumé, mais l’action s’y déroule en revanche si lentement qu’elle figure un immense gâchis. L’enquêteur, vivant dans un monde hermétique auquel il ne comprend rien et qui le rejette, a le sentiment d’être victime d’une farce dont les témoins seraient manipulés. Il en éprouve une frustration telle qu’il finit par se rebiffer. Cet instinct de survie lui fait entrevoir l’amour en même temps qu’il retrouve son sens de l’observation et ses facultés d’analyse. La suite de son parcours débouche pourtant sur l’anéantissement de la vie mais à mon sens aussi, sur la formidable certitude que la vie ne laisse pas de place à l’absurde : elle engendre donc la vie, mais sous une autre apparence. Ce texte me paraît d’une grande ouverture à la discussion : outre le spirituel, le pourquoi - comment, les thèmes pourraient côtoyer le banal de la vengeance, de la haine, de la colère, ou de l’indifférence en miroir de choses aussi rares que l’amour et l’amitié !!! (p.192).
La petite fille de Monsieur Linh
Oui à l’honneur, la dignité et le respect humain… Mais le parcours de cet homme me rappelle celui d’un funambule que seuls le sens de l’équilibre et la formidable aspiration vers la lumière céleste maintiennent en vie. Dans la première partie, la fascination et l’admiration nous obligent à un profond respect humain à l’égard de cet homme. Au tournant du récit, c’est la compassion qui apparaît pour se transformer bientôt en pitié. Ce livre est à mon sens un chef d’œuvre de poésie et d’émotions.
Le Paquet
C’est une courte pièce de théâtre qui se lit avec les yeux d’un spectateur. Un homme transporte avec peine un paquet manifestement trop lourd pour lui. Vite persuadé d’être le confident d’un crime, le lecteur évolue, puis oscille simultanément avec la parole du narrateur. De sombre, le discours devient parfois léger, presque humoristique. Inéluctablement pourtant, le monologue tourne à la douloureuse réflexion sur le bien et le mal. Nous ne sommes pas témoins d’un aveu de meurtre évidemment, et par sa parole terriblement oppressante, l’auteur nous fait prendre conscience de l’indicible poids du Mal sur la planète. Afin de la rendre meilleure, l’homme se charge des maux du monde et c’est à cette image que s’attache l’idée du paquet….
Le rapport de Brodeck
Une société étriquée, dans un village éloigné de tout, accueille un voyageur normal, venu de contrées habitées : c’est un coup de poignard planté au cœur de leurs vies, que ces villageois trop retranchés sur eux-mêmes, retourneront sur l’intrus. Ce livre m’a ennuyé, mais je comprends qu’il puisse séduire. A mon sens, il raconte trop lentement. C’est vrai que pour dépeindre un univers si fermé de mentalités coriaces et méchantes, il ne fallait pas aller vite… L’atmosphère est pesante, en cela bien rendue et passe par la torture des camps pour aboutir à la torture mentale des esprits bornés. Entre un fait de société et les crimes de guerre, c’est le fond d’une âme bien noire que l’on attribue aux hommes. L’écriture, sans plan, est, de mon point de vue, souvent lassante.
Les âmes grises (2003)
Ph. Claudel est époustouflant de réalisme. Il sonde les caractères avec une précision telle que le lecteur les lui attribue tous, ou s’en approprie l’originalité. Individualiste ou profondément altruiste, nous sommes tous confrontés un jour ou l’autre à une situation ambigüe des rapports humains… Serions nous bienveillant, accueillant et tolérant ou plutôt mal intentionné, agressif et mauvais ???!!! A chaque situation, notre image s’apparente plus souvent à l’accueil qu’au rejet… mais Philippe Claudel met ici, le lecteur dans l’inconfortable posture du « ni foncièrement bon ni vraiment méchant » : ni tout blanc ni tout noir, et d’après lui, c’est une âme grise qui habite chacun d’entre nous. La lecture est captivante, l’écriture franchement élégante mais le constat m’a paru souvent discutable.
L’arbre du pays Toraja (2016)
La mort donne à la vie sa finalité et dévoile l’abandon de la chair, qui peut aussi être une sorte d’emballage… C’est l’enveloppe seule qui change… : l’âme est présente à chaque instant. A nous d’en rester conscient, à nous de s’en enrichir… C’est probablement une renaissance sous forme différente que celle que nous connaissons et la reconnaissance aussi d’une présence permanente auprès de nous. La coutume indonésienne du pays de Toraja veut « prolonger » la vie du mort en lui permettant de renaître dans le cocon d’un arbre : porté au creux du tronc, le corps de chair disparaît en devenant la nutrition de l’arbre qui pousse, mais l’esprit habite définitivement les vivants… Aucun misérabilisme dans cet ouvrage, juste un court moment de délicieuse méditation.
Clément Catherine
Pour l’amour de l’Inde (1993)
Il s’agit là, d’un très bel hommage rendu à un pays dont on ne parle pas souvent et que nous ne connaissons pas toujours. L’ouvrage est agréable à lire grâce à une écriture simple et sans affectation. Le lecteur se plonge ici dans l’historique de l’indépendance de l’Inde qui hisse ses couleurs le 15 août 1947 et voit le départ de la gouvernance anglaise en même temps que la naissance du Pakistan. La force de l’ouvrage, tient à ce qu’il reste malgré tout un roman, relatant aussi la naissance inattendue d’un amour fulgurant entre Nehru et Lady Mountbatten, roman jamais ennuyeux ou trop long, mais bien au contraire tout en plaisir et en découverte.
Coe Jonathan
La pluie, avant qu’elle tombe
Au seuil de sa mort, une femme âgée retrace, au moyen de photos anciennes et de commentaires révélateurs, la vie de deux générations malmenées mais déterminées et libres dans leurs choix. Voilà un livre intéressant à plus d’un titre : La recherche humaine de l’histoire est portée par la recherche stylistique de l’écriture. La narration est originale et rendue saisissante par la progression d’une enquête qui se sert des souvenirs et des émotions dissimulées par le temps. L’histoire repose sur un lit de photos dont la succession rapide apporte au lecteur le renouveau fréquent qui lui procure l’envie d’aller plus loin.
Cohen Hadria Victor
Les trois saisons de la rage
C’est un livre que j’ai trouvé un peu fastidieux, du fait du mode d’écriture qui se formule en lettres d’abord, puis en un journal intime qui ne traite que du déroulement assez monotone des journées d’un médecin de campagne. Il n’empêche que les réflexions abordées sont un superbe témoignage sur la vie paysanne au XVIII°s. et une analyse non moins intéressante du dictat individuel des tourments humains. A ce titre, le roman reflète la densité des situations contradictoires auxquelles est soumis le genre humain et sa façon parfois scabreuse d’y faire face. L’auteur fait preuve d’une vision réaliste et la lecture en devient malgré tout assez savoureuse.
Collegia Jean Pascal
La lune où les cerfs perdent leurs bois (2015)
Nous sommes au cœur du voyage initiatique d’un amérindien, dans les montagnes du Dakota et autres plaines indiennes limitrophes du Canada. Originaire de la tribu des Lakotas, amie de la tribu des Cheyennes, ce jeune homme, désigné comme chamane à son insu, relève le défi de ses ancêtres et parcourt les territoires autrefois fuis par les indiens, pour honorer leur mémoire et dans le respect absolu de leurs coutumes. C’est en se comportant comme des braves et en éprouvant constamment leur force d’âme que ses ancêtres cheyennes vivaient : c’est donc dans cet esprit et parce qu’il l’a décidé, que Jason Ours Debout passera à l’âge adulte. Voilà un conte magnifiquement raconté aux adultes.
Colombani Laetitia
La tresse (2018)
Grâce à leur farouche détermination, trois femmes illustrent l’exemple type auquel chacun peut se référer pour se transcender et puiser l’insoupçonnable force qu’il porte en soi. Voilà un livre très court et ravissant, qui peut passer pour un recueil de nouvelles. Le lecteur en tire une sorte de précepte philosophique sur la volonté de grandir, qui engendre le dépassement de soi et la force d’agir. Ces ressources contribuent à offrir les moyens pour atteindre à l’inaccessible. Mais tout a un prix, souvent exorbitant et pas toujours à portée de conscience… Restons dans la réalité des situations difficiles à soutenir parfois, même si le découragement sabote notre entreprise. D’un trait de plume fluide et plaisant, l’auteur nous incite volontiers à y faire face.
Les victorieuses (2019)
Le titre choisi évoque les femmes courageuses, qui offrent leur propre victoire aux nécessiteux. Ces pages, intéressantes et bien écrites, traitent des origines de l’Armée du Salut et établit en parallèle pour l’intérêt du lecteur, le trait actuel et romanesque d’une vie d’aujourd’hui. Au début du XX° siècle, après de considérables difficultés, un bâtiment est aménagé pour recevoir les déshéritées de la ville. Il existe fort heureusement quelques personnalités comme Blanche Peyron, pour aller au bout de leurs convictions et se donner les moyens de parvenir à l’excellence. On a déjà rencontré ce genre de femme, suffisamment généreuse, altruiste, déterminée et volontaire pour franchir parfois les limites sociales du raisonnable… les bien-pensants n’approuvent pas toujours leurs exploits, mais au terme de leur action pourtant, ces héroïnes sont souvent félicitées… Au bout du compte, la société leur doit une fière chandelle, sachant que ce qui semble légitime aujourd’hui, paraissait quelque fois impensable au siècle dernier.
Compagnon Antoine
Un été avec Pascal
Outre que l’homme reste parfois d’un accès difficile ou compliqué, le livre ici qui s’intitule « Un été avec… » n’est pas du tout le genre de lecture à adopter pour se détendre sur le sable ! L’auteur reprend tout le cheminement et le phrasé du philosophe, qui en devient le sujet passionnant que l’on connaît, mais à condition d’analyser le dérouler du livre avec concentration, sérieux bien sûr et beaucoup de persévérance quand même. Avant d’aborder l’ouvrage, il me semble important de prévenir le lecteur qu’il ne s’agit pas ici d’une vulgarisation sociétale, mais bien d’un ouvrage difficile à suivre. Il n’en reste pas moins qu’un petit moment de réflexion philosophique procure toujours un temps de plaisir important.
Comte-Sponville André
L’esprit de l’athéisme
L’auteur ne porte aucun jugement : il invite au débat et à la réflexion. Il y a ceux qui ont la foi, les croyants (qu’il traite avec infiniment de respect) et ceux qui ne l’ont pas, les athées… parmi lesquels il se place. Rien ne les sépare d’autre que leur appartenance ou non, à une religion. Ils ont les mêmes valeurs fondamentales d’amour, de justice, de paix, de respect… Pour le philosophe, la spiritualité, c’est l’adhésion à un ensemble de valeurs morales qui forme la communauté des humains. Ces valeurs touchent l’individu et offrent une communion à des principes de justice, de charité, d’amour, de partage…. La religion elle, est une référence historique et culturelle à laquelle se réfère une civilisation. André Comte-Sponville n’affirme ni n’impose : il expose ses doutes et leur fondement, il laisse à chacun la liberté d’avoir la foi ou de croire en Dieu (il fait, à ce propos, la distinction linguistique judicieuse entre « avoir » et « croire »…). Cet ouvrage est de grande importance si l’on veut donner en conscience, la part qui lui revient au bagage religieux de notre éducation.
Connell D.J
Julian Corkle est un fieffé menteur
Voilà un livre, pardon à l’auteur, dont je n’aurai très rapidement aucun souvenir. Le personnage principal, dont on doit penser qu’il est injustement traité puisque incompris et finalement malheureux, n’est autre qu’un poltron boulimique sans aucune envergure, même pas celle du respect de soi-même. Qu’il soit homosexuel ne me dérange pas, mais apathique et faible à l’excès ne me séduit pas le moins du monde… Il faudrait sans cesse lui trouver des excuses qu’il ne mérite pas : il me paraît sans intérêt d’essayer de faire de la psychologie à bon marché à partir d’un comportement d’attardé !
Conrad Joseph
Lord Jim (1922)
Excellente lecture, qui demande pourtant une volonté entière et soutenue. L’histoire est celle d’un marin, victime de sa propre lâcheté et poursuivi, sa vie durant, par le remords et sa conscience. Il finit par se retirer dans une région lointaine et inconnue, parmi des indigènes parfaitement étrangers à toute forme de société conventionnelle, en ermite et finalement prisonnier de lui-même. Sous l’apparence forte et autoritaire du vainqueur, il mène sa vie comme un loup solitaire et refuse d’accepter l’offense de sa défaillance. Sa fierté atteinte introduit en lui une honte écrasante qu’il tentera un jour de laver par son propre sang. L’écriture est celle d’un conte oral, puisqu’un homme s’épanche sur la vie de son ami, en témoin, en compagnon, en osmose parfaite, dans une complicité et une tolérance sans borne.
Constant Paule
La bête à chagrin
Je n’aime pas cette façon de décrire une situation de l’intérieur d’une pièce : il s’agit d’un crime perpétré sur l’ex mari par l’un où l’autre des amis, doublé d’infanticide… L’histoire est sordide, étouffante et se situe, comme sur la scène d’un théâtre, sur une même scène : chez le juge. Il en résulte que le texte est souvent fade, sans mouvement et parfois ennuyeux. L’héroïne semble être complètement schizophrène, ses amis malsains et névrosés… et bien sûr la justice dans ce monde boueux essaie de se frayer un chemin. Elle y renonce finalement, n’ayant qu’à faire à des malades. Bref, je n’ai pas aimé du tout ! Je déteste la fange.
Cortès Edouard et Mathilde
Un chemin de promesses
Un grand coup de chapeau à ce couple, doublé d’une admiration envieuse et fascinée. Voilà une bonne bouffée d’oxygène traduite par le compte rendu d’une marche de Paris à Jérusalem dans un climat excessivement sain et rempli de spiritualité. Les jeunes mariés sont en accord mutuel total pour s’offrir en cadeau de mariage leurs efforts, leur abstinence et les difficultés d’une telle entreprise : c’est la promesse de leur vie.
Courcot Charlotte
Rouge
C’est la chute trop brutale d’un amour passionnel et fusionnel, vécue comme un drame dévorant. La raison n’a plus court. Seul ici, le cœur conduit une danse qui, sans être encore macabre, devient à coup sûr désespérée. Sous couvert de son désarroi, l’auteur me semble faire preuve d’une attitude proche de l’exhibitionnisme dans cette description qui ne génère que la destruction de soi et le manque d’auto-respect. Mais peut-être suis-je dans l’incapacité de porter un jugement sur une situation que je n’ai pas vécue.
Cournut Bérengère
De pierre et d’os (2021)
Ce livre est celui d’une vie en pays Inuit. Il exprime totalement la distance infinie qu’il y a entre notre civilisation et celle de cette population du froid, de l’inconfort et des « civilités » tellement à l’opposé des nôtres ! Il est assez passionnant de constater que de telles différences seraient pour nous source de difficultés incommensurables quand ce peuple s’en satisfait, au moins s’en accommode… Rythmée et façonnée par les croyances et les esprits des morts, la maisonnée vit souvent en communauté sous l’igloo, qui abrite du froid et des vents du grand nord. Les journées sont vouées à la chasse qui les nourrit, sur ou sous la banquise, et les vêtements sont cousus dans les peaux des caribous ou des phoques qu’ils ont dépecés. Tellement éloigné de notre entendement, ce livre semble parfois parfaitement irréel et incompréhensible, mais à la réflexion, il oblige le lecteur à l’humilité devant ces êtres de courage et d’abnégation.
Crozes Daniel
Mademoiselle Laguiole
Il me fallait connaître les origines du fameux couteau puisqu’il est devenu un incontournable à la maison… Voilà chose faite et de ce point de vue je suis satisfaite. En revanche le bouquin n’a pas d’autre valeur. L’écriture n’est pas super : ça fait un peu littérature de gare. Ca a quand même le mérite de nous informer sur le « Laguiole » et sur le fameux concours du meilleur ouvrier de France.
Cuelho Paulo
Onze minutes
Une prostituée recherche son âme dans la pratique de son métier. Rien d’orgiaque ici, tant mieux, mais l’auteur est franchement plus à l’aise quand il veut faire saisir un peu de sa spiritualité au lecteur. Dans ce livre, il tente de donner une dimension noble à la sexualité, parce qu’il réprouve qu’on l’ait toujours reléguée au rang de la trivialité des sentiments. Au cours des pages, il conseille de trouver l’âme avant le désir, et c’est un peu la démarche d’Aristote quand il pense que l’amitié vaut mieux que l’amour. Ils sont là, au diapason et la réflexion vaut la peine d’être poursuivie : au-delà du tangible, demeure l’absolu ; le rêve du philosophe serait d’aboutir à ces sphères. Mais, passées quelques explorations intéressantes, la façon dont le sujet est traité m’a semblé fumeuse et lassante.
Cusset Catherine
Un brillant avenir
Une famille de roumains, en dissidence avec le gouvernement de Caucescu, quitte le pays avec difficulté mais détermination. Après un court séjour en Israël parce que le mari est juif, ils s’installent aux Etats Unis. La femme reproduit avec son fils, le schéma qui l’a opposée autrefois à ses parents… Elle ne devait pas épouser un juif, elle ne veut pas entendre parler de sa belle fille française ; mais les années passent et les caractères s’érodent avec le temps. L’écriture est agréable, mais l’incessante superposition des générations apporte parfois un peu de confusion et si l’histoire est bien menée dans la description des déboires administratifs des émigrés, elle reste tout de même assez fade.
Cyrulnik Boris
Sauve toi, la vie t’appelle
L’auteur raconte avec le talent d’un écrivain et la science du neuropsychiatre son propre parcours de la petite enfance jusqu’à sa maturité, nous menant des dégâts du nazisme au traumatisme de l’adolescence et jusqu’à l’âge adulte. Il met sa reconstruction au service de son intime recherche à comprendre et sa plume à éclairer notre demande. Le récit comporte parfois des notions médicales psychologiques difficiles à suivre mais c’est le réalisme, l’intelligence et l’humanité bienveillante qui en font un formidable plaidoyer pour la vie. C’est un document autobiographique qui revêt l’allure d’un roman tant sa vérité et son déroulement agrippent avec les bouleversements et la passion d’une fiction bien menée… Quand le lecteur prend conscience de la réalité du chemin parcouru, il frissonne et demeure totalement habité par ce témoignage de vie.